INSTITUT LEININGER
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- Un bon mental, une bonne philosophie de vie, un corps souple et fort pour mieux vivre sa vie -
Sommes-nous des yogis-guerriers ? (11)
Ce 11ème article portant sur ce thème est paru
dans le numéro 122-123 de ma revue de Yoga.
Il pose la question
fondamentale du devoir du Yogacharya, du pratiquant de Yoga dans le monde
moderne.
C'est aussi un besoin fondamental, tant il importe pour chacune et
chacun de nous, de réaliser ce qu'il est et ce qu'il doit accomplir en ce monde
...
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Je crois pouvoir affirmer que ce que chaque être humain recherche, au-delà de la
satisfaction de ses besoins premiers, est, sinon le bonheur, en tout cas d’être
heureux. Ceci n’est accessible que si l’on a la possibilité de vivre une vie
paisible … Comme le dit très justement la Bhagavad Gîtâ II, 66 à propos de la
méditation (Cf page 4) : |
Voir aussi :
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Je crois pouvoir affirmer que ce que chaque être humain recherche, au-delà de la
satisfaction de ses besoins premiers, est, sinon le bonheur, en tout cas d’être
heureux. Ceci n’est accessible que si l’on a la possibilité de vivre une vie
paisible … Comme le dit très justement la Bhagavad Gîtâ II, 66 à propos de la
méditation (Cf page 4) :
"…
sans paix, il n'y a pas de bonheur."
Le problème se pose lorsque l’environnement humain en décide autrement et
pour diverses raisons pas toujours raisonnables, adopte des attitudes ou commet
des actes contraires aux valeurs communes à de nombreux codes humains,
spirituels, philosophiques, religieux, humanistes.
Les principes garantissant l’existence paisible dans la communauté humaine, se
transmettent. Par l’éducation, d’abord, puis par le contact aux autres dans le
monde scolaire. Les valeurs enseignées au
catéchisme, sont celles de tolérance, de sagesse, de respect, d'éthique,
d'humanisme et bien sûr de spiritualité, ce qui se poursuit parfois dans les
familles croyantes et pratiquantes.
Ces valeurs de morale se retrouvent
dans ce que l’on nommait à une époque, l’Instruction civique. En 2013, on évoque
la morale laïque.
L'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa
préconisait
:
"…
une société démocratique ne peut combattre efficacement ses propres ennemis … si
ses institutions ne sont pas solidement fondées sur des valeurs éthiques, si en
son sein ne se développe pas une riche culture spirituelle comme antidote aux
forces destructrices, fracturantes et anarchiques qui sont seulement déterminées
par les conduites individuelles libérées de toute responsabilité …
Peut-on ne pas agir ?
La maîtrise de soi et le respect de valeurs élémentaires sont des composantes de
l'ascèse qui est une dimension fondamentale de toutes démarches spirituelles et
initiatiques. L’erreur d’une intégration du Yoga et de la spiritualité dans nos
vies d’Occidentaux serait de penser ou de croire que ces choix de démarches nous
mettent à l’abri d’actions à mener ou d’engagements à prendre. Ce serait là la
marque de l’indifférence aux conséquences inévitables car, si l’on ne peut pas
ne pas agir, ne rien faire signifierait cautionner les situations inadmissibles
et se rendre complice responsable d’exactions commises sous nos sens.
Il s’agit là d’un contresens parfois rencontré dans le monde du Yoga en Occident
où la vision fantasmagorique du sage assis dispensant ses enseignements hors de
tout conflit en ce monde, imprègne celui qui préfère se mettre à l’abri et
laisser les autres agir à sa place. La Bhagavag-Gîtâ elle-même évoquait cette
impossibilité de ne pas agir car l’action est inévitable (III, 5 à 7) :
Car personne, pas même un instant, n’est
réellement inactif ; tout homme, malgré lui-même, est mis en action par les
fonctions naturelles de son être … Celui qui, après avoir enchaîné l’activité de
ses organes, se tient inerte, l’esprit occupé des objets sensibles et la pensée
errante, on l’appelle faux-dévôt … Mais celui qui, par l’esprit, a dompté les
sens et qui met à l’œuvre l’activité de ses organes pour accomplir une action,
tout en restant détaché, on l’estime, Arjuna.
Illustrations :
-
Agir est un devoir
- Les mythes hindous s’appuient sur ces images-symboles
-
Des pratiques très puissantes
-
Baïthak, technique de la caste guerrière
Résistance et non-violence
La vie quotidienne occidentale nous donne de nombreuses occasions de prendre
position de façon ferme et engagée. La confusion ci-dessus vient de ce que l’on
pense parfois que la non-violence (traduction la plus courante du premier
principe du Yoga, Ahimsa) exige de ne
pas s’opposer, de ne pas contrer, donc, de laisser faire … Pourtant le mot
lui-même de Non-violence exprime bien ce qu’il signifie : dans sa composition
même, il veut dire qu’il y a un choix autre que celui de la violence. Deux
citations récemment présentées dans Drish vont dans ce sens : le philosophe
français Jean-Marie Muller qui a consacré sa vie et son œuvre à la non-violence
disait :
"Le
désobéisseur est un dissident, il n'est pas un délinquant. Il ne se désolidarise
pas de la collectivité politique à laquelle il appartient : Il ne refuse pas
d'être solidaire, il refuse d'être complice."
Quant à Michel Coquet, il écrivait dans son livre
Kailash qui est le nom de la montagne
sacrée sur laquelle demeure Mahayogi, le grand Yogi, Shiva :
"…
L'authentique chercheur combine harmonieusement force physique et dynamisme
spirituel."
On pourrait bien se demander pourquoi la force physique … Au-delà de
ce qui est dit dans la série d’articles sur le Yoga au quotidien (Papy
s’entraine tous les jours), choisir de s’engager sur une voie ascétique et
opter pour la non-violence signifie que l’on doit veiller au respect des
principes et valeurs humanistes qui pourraient être menacés et aussi qu’il peut
être demandé un engagement physique. L’autre raison est que le maintien de la
force physique, de la capacité à s’opposer physiquement, sans toutefois
rechercher cette ultime solution, renforce le mental et permet d’œuvrer plus
aisément en ce monde pour le respect des principes évoqués.
Enfin, dans Non-violence, il y a le
mot violence : cela veut dire que
celui qui choisit cette voie a les moyens d’être violent, mais, il fait le choix
de ne pas user de ces moyens à sa disposition. Il s’agit là d’une notion très
importante, car, en effet, être non-violent ne veut pas dire que l’on fasse ce
choix par impossibilité d’user de moyens violents.
Etre non-violent ne veut surtout pas dire être lâche, indifférent, inactif,
découragé ou faible.
Une obligation d’action
J’irai même plus loin : le fait de suivre la voie du Yoga, comme toute voie
initiatique et spirituelle amenant à renoncer à sa ‘vieille vie’ pour renaître à
une vie plus juste et fidèle à des valeurs que l’on tente alors de mettre en
œuvre au quotidien tout en pratiquant une sorte d’exemplarité qui fait bien plus
que les discours, tout en rendant la vie bien plus supportable, nous donne les
outils d’amélioration de nous-mêmes et aussi de ce monde.
Ce travail se fait à échelle humaine : c’est autour de soi que se répand ce
nouveau parfum lié à une existence nouvellement fondée sur la conscience de son
caractère précieux. Montaigne disait :
"Si
la vie n’est qu’un passage, sur ce passage, au moins, semons des fleurs"
Les nôtres permettront à ceux qui nous entourent de mesurer à quel point la
beauté qui accompagne forcément les valeurs de la voie suivie, est possible, et
de plus, qu’il suffit de choisir de s’y engager.
On remarquera que c’est le premier pas qui est le plus difficile : une fois que
l’action est entamée, il n’y a plus qu’à entretenir le mouvement, dans la même
logique de ce que disait André Van Lysebeth dans la phrase que j’ai citée dans
le dernier numéro, sur le plus dur dans le Yoga, qui est de dérouler son tapis.
Le choix de vivre conformément aux principes choisis permet de respecter le
Carpe diem des anciens Romains, de
profiter de l’instant, non en le gaspillant, mais en en usant pour son bien et
celui des autres. De plus, ce choix embellit la vie et la rend plus douce, ce
qui va dans le sens de ce que disait le poète tragique grec Euripide au Vème
siècle avant notre ère :
"Une
vie sans beauté est un bien lourd fardeau"
Encore la discipline
On pourra noter que le mot est plus effrayant que ce qu’il représente
réellement lorsqu’on s’y met. Il faut être un yogi-guerrier, défenseur des
principes du Yoga traditionnel, de façon paisible et ferme à la fois, dans un
esprit non belliqueux mais déterminé.
La violence qu’il ne faut pas confondre avec haine ou agressivité, tant
vis-à-vis des autres que vis à vis de soi, est présente dans le Yoga. En effet,
le Yoga n’est pas mou ni indolent comme peuvent le penser ceux qui se fient aux
images de laisser aller que les médias affichent parfois.
Le mot Hatha Yoga se traduit par
Yoga de l’effort violent. Ce qu’il y
a de violent dans la pratique physique et mentale est dans la tentative
régulière de soumettre en douceur (!) sa propre nature à sa propre volonté.
Effort violent mesuré
Concrètement, les techniques de Yoga font agir le corps jusqu’à son maximum,
toujours en le respectant : d’où l’intégration de techniques martiales dans le
Yoga. La salutation au soleil et ses variantes ne sont pas inscrites dans les
textes classiques du Yoga et ont été adoptées par les yogis hindous il y a
quelques siècles seulement.
Il en est de même pour le mouvement Baithak pratiqué par certains yogis hindous
et classée parmi les Indian wrestling
practices ou pratiques de lutte indienne.
Baithak est aussi nommée Hindu squat
(le squat est un mouvement de flexion sur les membres inférieurs) ou encore
Uthak bethak qui veut dire, en langue
hindie : s’accroupir et se redresser.
Le premier travail sur soi, il est important de le redire n’est pas contre soi
mais avec soi. On ne doit pas s’opposer à soi-même, car le risque serait le
refoulement aux conséquences désastreuses.
Il s’agit de travailler sur soi en se respectant et sans violence.
De même que la sagesse populaire dit :
"… Chassez le
naturel, il revient au galop … "
Dans le même sens, Francis Bacon disait avec justesse :
"… On ne vainc
la nature qu’en lui obéissant."
On retrouve ici aussi, au-delà de son propre tapis de Yoga, le principe de
stihrasukham, qui caractérise la posture du Yoga, ferme (stihra)
et agréable (sukham).
On doit donc apprendre à connaître son corps, ce qui est conforme à l’esprit de
swadhyaya, l’étude de soi, pour mieux
l’aborder et le mettre en action tout en le respectant.
L’Inde à l’origine du Kung Fu ?!
Les épopées indiennes racontent des conflits à ne pas considérer seulement
au premier degré. Ils sont l’occasion pour chacun d’aller au fond de lui-même et
de développer ce qu’il a de meilleur face aux situations difficiles pour le
corps comme pour le mental des personnages en présence.
D’autre part, la présence des arts martiaux en Inde est attestée de longue
date : l’histoire montre que les origines du Kung Fu sont dans les disciplines
transmises par Boddhidharma, prince indien qui s’en alla à Shaolin, au VIème
siècle de notre ère …
(… À suivre …)