INSTITUT LEININGER |
Courrier des lecteurs
: "A quand le Pranayama ?"
Les questions que vous me posez, tant lors des cours que lors des stages, des
matinées pédagogiques et des journées d'étude, me servent de support que
j'utilise régulièrement, aussi bien dans mes séances que dans mes écrits.
J'utilise aussi, les questions qui me sont posées lors de mes interventions dans
la formation de futurs professeurs ou encore au moment des prises de
rendez-vous.
Le Courrier des lecteurs a cette belle utilité : voici
une question à laquelle je tenterai de répondre avec précision.
Prânayama
Un pratiquant me demande :
"Quand est-ce qu’on va faire du
Pranayama, dans vos cours ?"
Cette question m’a, quelquefois, été posée.
Sa raison vient du fait que ce que l’on nomme "Pranayama", est une dimension du
Yoga, sa quatrième étape, précisément et qu’il est, parfois imprudemment mis en
exergue.
J’écris bien « imprudemment », car cette pratique spécifique obéit à des
principes antérieurs à sa mise en action, à une progression en même temps qu’à
la mise en place d’une réelle condition physique de bonne qualité.
Ceci étant dit, pour vous répondre directement et sans attendre un développement
explicatif plus complet, vous faites du Pranayama dans chacun de mes cours de
Yoga, lors des journées d’étude et lors des stages aussi.
Nuances
Il importe à présent, de préciser de quoi nous parlons, avec le plus
d’exactitude possible, sachant que je ne puis, déjà, que vous encourager à
suivre les stages de Yoga de l’été prochain dont le thème pratique revient très
régulièrement : la détente du diaphragme sans laquelle on ne peut prétendre
avoir une respiration correcte, et donc, faire du Pranayama.
Illustrations (non présentes
ici) :
Une action possible
Patanjali
En 2016, la pratique effectuée lors des trois semaines, a porté
sur la colonne vertébrale et la respiration ("Bon
dos, bonne respiration"). En 2013, il y avait eu :
"Souffle et verticalité".
Quant au numéro 139 de la revue, c’était un "Spécial
méthode" qui vous a présenté les moyens techniques, pédagogiques et
didactiques fondant une pratique correcte et bien comprise de la discipline
indienne.
Le Yoga, on l’ignore trop, est d’une redoutable efficacité : un simple coup
d’œil sur l’article paru dans Drish 141 et portant sur les "Indispensables
prérequis" permet de voir combien un travail régulier, assidu et mesuré,
peut entraîner de modifications sur le corps lui-même sur les plans articulaire,
musculaire, et donc fonctionnel.
Les effets sur le thorax et la colonne vertébrale apparaissaient de façon
évidente, dans ce numéro de début d’année.
Cette efficacité du Yoga ne s’arrête pas au seul niveau physique : en effet,
comme nous le verrons du 17 au 22 Juillet, ses effets sur les grandes fonctions
sont certains. Elles ne sont pas les seules bénéficiaires : le psychisme, le
mental, le corps énergétique, retirent aussi, de grands avantages de cette voie.
Or, manier une telle discipline pouvant avoir de tels effets, mérite amplement
la mise en place de "garde-fous" : les yogis anciens de l’Inde antique, les ont
prévus et mis en place.
Pranayama … cékoi ?
Le pranayama constitue la 4ème étape sur la voie du Yoga tel que décrit par
Patanjali au IVème siècle avant notre ère.
Le mot vient de "Prana" dont j’ai
parlé plusieurs fois dans la revue (Drish
90, 92-93, 129 et 136).
Sa traduction est "énergie" ; quant
au terme "Ayama", il veut dire : "allonger,
ralentir, étirer".
Le Pranayama est donc, le contrôle de la respiration, dans la mesure où les
Yoga-Sutra-s de Patanjali, disent qu'une respiration accélérée est liée à une
dispersion du mental (Yoga-Sutra I, 31) que l'on peut solutionner par l'expiration
et la suspension de la respiration.
Dans la même logique, le Hatha-Yoga Pradipika (II, 2) qui est un texte plus
récent, dit la même chose :
˝…
Lorsque le souffle est agité, l'esprit
est agité.
Lorsque le souffle est immobile,
l'esprit est immobile.
Le Yogin atteint la fixité.
C'est pourquoi l'on doit arrêter le
souffle …˝
Cette évidence est confirmée plus loin dans ce même texte (HYP IV, 21) qui
reprend cette idée :
˝… Celui qui a enchaîné le souffle
a du même coup enchaîné l'esprit.
Et celui qui a enchaîné l'esprit a,
du même coup, enchaîné le souffle …
Donc, la première définition du pranayama est, avant toute autre chose, le
ralentissement de la respiration comme nous le pratiquons lors des séances
avancées du jeudi et dans certains stages. C’est en ce sens que je commençais en
disant au pratiquant auteur de la question traitée ici, qu’il fait du Pranayama
à chaque séance qu’il suit avec moi.
Illustrations
(non présentes ici) :
André Van Lysebeth
Le secours des écrits
traditionnels
Exigences et prérequis.
La pratique de cette étape du Yoga portant sur le souffle, est très
exigeante en ce qu’elle demande des conditions physiques et mentales précises.
Avant tout, il faut avoir une respiration correcte.
Les grands du Yoga moderne (Van Lysebeth, Iyengar, Taimni …) mais aussi
Ouspenski, Ehrenfried dont il est question très régulièrement lors des semaines
de Yoga, insistent grandement sur la nécessaire prudence à observer dans cette
approche de certaines techniques respiratoires et sur la nécessité de bien
respirer, avant de se hasarder à de tels exercices.
Certains auteurs expriment leur dangerosité, d’autres les déconseillent
formellement aux Occidentaux, du simple fait que, n’étant pas des Hindous, nous
ne sommes pas prêts à de telles disciplines qui demandent un engagement
quotidien.
On pourrait, aussi, citer la Gheranda Samhita qui dit qu'une pratique mal
effectuée peut déclencher des maladies (Gheranda Samhita V, 8-9).
Il faut ajouter à cette problématique réelle, une confusion très occidentale
entre faire et être.
Le pranayama est un état.
Comme nous venons de le voir dans les citations ci-dessus, il correspond à
l'état de ralentissement du souffle.
C'est lui qui va assurer l'apaisement mental, ouvrant ainsi la porte vers les
étapes supérieures du Yoga traditionnel, sans compter les nombreuses
répercussions sur le bien-être et la santé.
Qu'en disent les textes ?
C'est ce qu'on peut entendre dans ce Yoga-Sutra II, 49 qui dit :
"La cessation de la perturbation de la respiration caractérise le prânâyâma …".
Le Yoga-Sutra II, 50, confirme cette idée en donnant une légère précision sur la
concentration sur la respiration, qui va apporter :
"… un souffle allongé et subtil".
Là est l'être ; quant au faire, il est dans cette tentation des Occidentaux de
"faire du pranayama", ce qui signifie se livrer à des exercices respiratoires
vis-à-vis desquels, justement, de nombreuses mises en garde ont été énoncées par
des spécialistes de la question, comme indiqué plus haut, ainsi qu'un texte du
Yoga.
Cette confusion est essentiellement due à notre façon d'envisager et de traiter
ce qui est différent, comme le disait Jung dans
"L'âme et la vie" :
"Notre habitude de comprendre de
l'extérieur échoue ici parce qu'elle est à jamais inadéquate à l'essence de la
spiritualité hindoue."
L'erreur est, on le voit, dans
cette confusion, dans le désir de puissance associé à cette pratique censée
apporter de l'énergie, ce qui est vrai à condition que les étapes précédentes
aient été respectées. Ainsi, la préparation psychologique par les deux premières
étapes du Yoga et celle physique par la troisième, sont à intégrer en amont.
Carl Gustav Jung ; Une belle mécanique
très respectable (dessin de Léonard De Vinci) ; Un positionnement précis ;
l'auteur en action
L'enseignement du Yoga-Sutra
II, 49 évoque la maîtrise de la posture de façon claire. On peut avoir une
mauvaise perception de ce que peut être l'énergie et de sa sauvegarde : le
lecteur trouvera tous les éléments concernant cette question dans le numéro
spécial sur l'énergie (Drish 125) ainsi que dans l'article : "De
˝plus d’énergie˝ à Balzac" paru dans le numéro 126 de Drish.
Encore les prérequis …
Le caractère risqué des exercices très puissants du Pranayama, tient à la
préparation très insuffisante des Occidentaux qui n'ont pas la condition des
Asiatiques. Nous ne possédons pas les prérequis des yogis indiens qui vivent le
Yoga au quotidien, tant spirituellement, que physiquement et culturellement.
Quelques précisions s'imposent, ici, dont vous trouverez quelques points communs
avec le numéro spécial de Drish paru fin 2016 ("Spécial méthode").
Une bonne respiration, ce qui signifie un mouvement respiratoire correct, une
profondeur optimale et un rythme calme, est indispensable pour le Pranayama,
comme nous le reverrons lors de la troisième semaine de Yoga d'été.
Rythme, amplitude et mouvement optimaux accompagnent la tranquillité mentale
évoquée par les textes (Cf. supra).
Nous devons tenir compte qu'il n'est pas souhaitable de contraindre le corps,
mais plutôt de lui donner les moyens de fonctionner dans les meilleures
conditions et donc, dans le sujet qui nous occupe ici, de lui donner la
possibilité d'accéder à une ventilation suffisante et même optimale pour la
pratique du Yoga et l'accession aux états supérieurs.
Face à cet objectif, nous devons nous rendre à l'évidence : la vie occidentale
moderne ne permet pas, au quotidien, de développer les moyens et prérequis
nécessaires.
Mais quels sont-ils ?
Une évidente simplicité.
Ces prérequis sont largement développés lors des journées pédagogiques et
stages ; ils sont aussi, le fondement des séances que j'anime régulièrement.
La position et le fonctionnement de la colonne vertébrale et du thorax ont une
importance capitale, comme cela a été démontré dans le précédent numéro. Il faut
y ajouter la position de la tête et du bassin, une bonne sangle et la capacité
du diaphragme à remonter dans la cavité thoracique, ce qui exige de lui qu'il
soit détendu et sans tension, comme nous pourrons le voir très concrètement lors
des trois semaines de l'été 2017.
On le voit bien, la respiration n'est pas un domaine dans lequel il est question
d'amener le corps par la force à ce que l'on veut ni de l'obliger à quoi que ce
soit, car la nature est plus forte que nous si nous lui opposons la brutalité,
mais bien plutôt d'utiliser cette propre nature à mettre en place les
composantes indispensables qui vont entraîner à la fois, l'approfondissement de
la respiration en même temps que son ralentissement.
Ce sont aussi les conditions idéales d'une bonne oxygénation et du calme mental.
Ce n'est qu'à partir de cette respiration "normale" que peut se faire le
pranayama.
Et les exercices ?
A côté de cette respiration lente, avec ou sans pauses respiratoires à plein
et/ou à vide, comme cela se fait quelquefois dans les séances avancées ou en
stages, on trouve toute une littérature sur les mouvements respiratoires plus ou
moins puissants, plus ou moins bruyants, de pranayama.
Je reviendrai une autre fois sur cette propension à activer une respiration
bruyante, qui n'a pas lieu d'être dans la pratique classique.
Illustration
(absente ici) :
La complexité n'est pas à
rechercher
Il me faudra aussi revenir sur ce que disent, concrètement, les textes
classiques du Yoga, à ce sujet.
De grandes précautions sont à respecter car, du fait que l'appareil respiratoire
a perdu, momentanément, son mouvement complet normal, et donc, que la fonction
respiratoire n'est pas au mieux de sa capacité, il est préférable de laisser de
côté ces exercices spectaculaires peu discrets et se contenter d'exercices
simples comme celui de l'expiration prolongée qui vous a été proposé dans la
revue (Cf. Drish 141).
N'oublions pas, encore une fois, que le Yoga est plus une question d'être que de
faire.
En Occident, nous avons tendance à inverser, sans nous en rendre compte, car la
démarche orientale nous est complétement étrangère et incompréhensible, à moins
de refaire, comme le proposait Descartes, tout le système de ses connaissances
ou revoir son tempérament comme nous y invite un texte sacré de l'Inde. Nous
devons changer de point de vue tout en conservant notre culture et nos
fondamentaux, lorsque nous abordons une méthode si surprenante que le Yoga.
Erreurs
Au moins trois erreurs sont à noter chez ceux qui insistent absolument pour
"faire du pranayama".
Illostration
(absente ici) :
Le contrôle du corps et des
sens
La première est qu'ils confondent régulièrement "Hyperventilation" et "Hyper
oxygénation" qui sont loin de désigner la même chose, puisque la première peut
avoir des conséquences néfastes pour l'organisme.
La seconde est que le forçage de la mécanique respiratoire pulmonaire par des
pratiques trop puissantes pour ce que nous sommes et ce qu'est la condition
physique et mentale générale de l'Occidental moyen, ne peut que générer de
mauvaises positions corporelles, tant au niveau articulaire qu'à celui
musculaire, ainsi que sur la statique du corps.
La troisième confusion tient à la question du mental qu'il importe de contrôler
au moins un peu, de même que le corps, avant de se lancer dans des pratiques
trop au-dessus de notre état psychocorporel.
Cette question du contrôle mental est d'autant importante que, alors qu'on la
trouve juste après l'étape des pratiques respiratoires-énergétiques dans le
texte des Yoga-Sutra-s de Patanjali, dans un autre texte, la Gheranda Samhita
dont quelques extraits vous sont proposés un peu plus haut dans ce même article,
le contrôle mental est une condition nécessaire à la pratique respiratoire et
énergétique.
On le voit, souffle et mental sont très étroitement liés.
Tous les jours …
Lorsqu'on pense que la pratique du Pranayama est quotidienne chez les yogis
hindous qui ont suivi et suivent chaque jour, aussi, un travail corporel
important et assidu …
Illustration
(absente ici) :
Une pratique puissante mais
quotidienne
Ce travail se fait durant
plusieurs heures par jour en étant, généralement, retirés du monde, avec un
engagement corporel et mental très poussé et une conscience très développée et
affinée.
On imagine facilement la prudence qu'il nous faut en abordant des techniques qui
leur sont parfaitement familières, ainsi que la nécessité d'en choisir de très
accessibles, car il vaut mieux ne pas chercher à imiter ce qui se fait en Inde.
Nous sommes des Occidentaux : c'est une caractéristique que nous ne devons
jamais oublier ni laisser de côté, sous peine de courir quelques risques.
En conclusion …
Pour conclure, et en résumé, je dirai simplement que, oui, je propose du
Pranayama à pratiquer lors de chacune des séances que j'anime.
Illustration
(absente ici) :
Une variante du mouvement simple du chat
Ensuite, nous devons nous souvenir que "Faire du Pranayama" reste soit le
résultat d'une curiosité naïve négligeant les précautions nécessaires indiquées
par les Indiens détenteurs de cette vieille tradition, soit un fantasme dicté
par l'attrait du côté exotique de la discipline indienne chez l'Occidental qui
"oublie" sa réelle condition et n'en tient pas compte.
Il est largement préférable pour lui, de coller à ce qu'il est, aux plans
corporel, mental et psychique, afin de déverrouiller son corps, tranquilliser
son mental et conserver suffisamment d'humilité pour s'appliquer à des exercices
simples et efficaces plutôt que chercher à se prouver je ne sais quoi par des
prouesses inutiles puisqu'inefficaces.
Une recherche effrénée de pratiques sans tenir compte des indications de fond,
serait contraire aux enseignements premiers du Yoga traditionnel, lesquels
constituent les prémices aux aspects posturaux et énergétiques du Yoga, donc, à
la pratique des postures et du pranayama.
Bonne réflexion et bonne respiration.