INSTITUT LEININGER
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Pierre Bayle entre scepticisme, persécution et tolérance
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En Ariège, terre hautement marquée par la pensée spirituelle cathare et
protestante, le petit village anciennement nommé Carlat, puis Le Carla est
devenu Carla-Bayle, du nom de Pierre Bayle (18 novembre 1647 - 28 décembre
1706), qui vit le jour dans ce hameau (ci-contre la place centrale), dans un
contexte d'instabilité politique et économique, de renaissance et de
jaillissement d'idées nouvelles.
Dans mon vieux et fidèle Lagarde et Michard du XVIIIème siècle, est recensé cet
érudit, philosophe et écrivain français surtout connu comme sceptique, dont le
message a largement inspiré les grands penseurs du XVIIIème. Il est décrit par
Castex, Surer et Becker (˝Manuel des
études littéraires françaises˝) ainsi :
˝Doué d’une intelligence critique
toujours en éveil, Bayle est la frappante personnification de l’esprit
libertin : sa liberté de pensée s’exprime essentiellement en philosophie et en
religion˝.
Mon propos est ici de vous dresser un tableau de la période au cours de laquelle
ce haut personnage a œuvré, de montrer ses influences ainsi que les courants en
présence, de vous donner un aperçu aussi complet que possible de sa personnalité
et de sa pensée et enfin, en conclusion, de montrer les liens avec l’engagement
que le Yoga propose.
De 1685 à 1715, l’Europe géographique, et surtout la France, traverse ce que
certains nomment une ˝crise de
conscience˝, sûrement amenée par le travail souterrain de la pensée libre.
Des mécontentements se font entendre depuis longtemps, faisant naître une
opposition à l’absolutisme, renforcée par les échecs de la fin du règne de Louis
XIV, ce qui inspire certains auteurs comme Locke (˝Essai
sur le pouvoir civil˝, 1690) et Fénelon (˝Examen
de conscience sur les devoirs de la royauté˝, 1711). Le pouvoir royal fondé
sur la monarchie absolue, est affaibli.
A l’étranger, des systèmes philosophiques sont en gestation et se détachent de
la théologie. Sur fond de querelle des Anciens et des Modernes, les certitudes
de la foi sont attaquées : Richard Simon (1638-1712) critique la Bible après
avoir étudié la théologie et l’hébreu. On voit la différence avec l’Inde où
toutes les idées sont admises à condition que personne ne vienne les imposer.
ci-contre à droite : Gravé
sur ce globe : ˝Je suis un citoyen du monde, un chevalier au service de la
vérité˝
˝Mieux vaut pour chacun…˝
Comme en Inde, les voyages sont courants, d’où les échanges sur les mœurs :
morale et habitudes semblent à présent, relatives au temps et au lieu. Il n’y a
donc pas de norme absolue du Bien. La prise en considération de la Nature en
l’homme (le ˝swabhava˝ indien qui
dicte la loi d’action, ˝ swadharma ˝
du bas de la page 3), du Bonheur recherché et aussi du Progrès qui peut l’aider,
s’affirme au fur et à mesure et s’accomplira encore au XVIIIème siècle.
L’amour de la science, la tolérance ainsi que la réhabilitation de la
sensibilité, du plaisir et de l’usage de la raison, vont être les profondes
transformations de cette période à cheval sur la fin du XVIIème et le début du
XVIIIème siècles.
On notera que, par contre, pour les yogis hindous, les découvertes de la science
indienne très avancée, n’ont rien changé à leurs croyances et convictions qui
comptaient une vision particulière de la place de l’être humain dans l’univers
(Cf. le système Samkhya, Juillet
2014).
En France, les sciences que sont les mathématiques, l’astronomie, l physique,
connaissent un grand développement.
Comme en Inde, la ˝connaissance vraie˝
Le fait et l’expérience s’imposent, de même que la curiosité pour les
innovations de la pensée, et non plus la subordination. Fontenelle (1657-1757),
encore lui, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, va œuvrer à
vulgariser la connaissance et à mettre les découvertes scientifiques à la portée
de tous.
L’écrivain Vauvenargues dira de lui qu’il a donné ˝…
de nouvelles lumières au genre humain˝.
Son explication simple des phénomènes célestes leur enlève le mystère et ébranle
la foi de certains : l’esprit scientifique gagne du terrain sur l’esprit
dogmatique et doctrinaire. Fontenelle contribue à préciser de mieux en mieux ce
qu’est la science et affirme que l’univers entier est soumis à ses lois.
Bien que moins apparente que celle de Bayle, l’influence de Fontenelle est
grande, au point que Voltaire dira de lui :
˝L’ignorant l’entendit, le savant
l’admira˝.
Les courants de pensée
Avant Pierre Bayle, la pensée libre a connu ses précurseurs : au XVIIème siècle,
les ˝libertins˝ ont mis en cause
l’autoritarisme religieux mais sans disposer de moyens suffisants ; des
personnalités comme Pascal (1623-1662) et Descartes (1596-1650) ont permis de
faire avancer la pensée. Ce dernier proposait que :
"Pour atteindre la vérité, il faut une fois dans sa vie se défaire de toutes les
opinions qu'on a reçues, et reconstruire de nouveau tout le système de ses
connaissances"
Le terme ˝opinion˝ est à prendre ici,
selon l’acception philosophique, comme Descartes et Bachelard le définissent,
c’est-à-dire au sens de croyance ou d’idée admise de façon définitive. Avant
eux, à cheval sur les XVIème et XVIIème siècles, Galilée (1564-1642) a dit que :
˝L’autorité d’un seul homme compétent,
qui donne de bonnes raisons et des preuves certaines, vaut mieux que le
consentement unanime de ceux qui n’y comprennent rien˝.
On notera la ressemblance surprenante avec ces mots de Bayle (˝Pensées
sur la comète˝, Chapitre 47) :
"… un homme habile qui ne débite que ce qu'il a extrêmement médité et qu'il a
trouvé à l'épreuve de tous ses doutes, donne plus de poids à son sentiment que
cent mille esprits vulgaires qui se suivent
comme des moutons, et se reposent de
tout sur la bonne foi d'autrui …".
Ces paroles simples pleines de bon sens sont l’encouragement à déployer
l’attitude épistémologique nécessaire à une intégration correcte du Yoga, tant
au niveau de sa propre pratique que des valeurs qu’il peut nous apporter et à
mettre en place au quotidien. Les textes classiques du Yoga évoquent cette
attitude et mettent en garde contre la ˝connaissance erronée˝ caractérisée par
le fait qu’elle
n'est˝… pas fondée sur la vraie nature des choses˝
(Yoga-Sutra I, 8).
D’autres courageux …
Giordano Bruno (1548-1600), le premier homme à penser que l'univers n'avait pas
de fin, que des centaines de milliers de soleils comparables au nôtre,
existaient, avec des planètes tournant autour, a été emprisonné, torturé pour
avoir refusé d’abjurer ses opinions, puis brûlé vif en public par l’Inquisition
en 1600, sans pouvoir clamer ses convictions sur le bûcher puisqu’on lui aurait
arraché la langue.
Et dire que l’Inde admettait depuis déjà longtemps, les
˝points de vue˝, les
˝darshana-s˝ colportant des avis
différents voire contraires, sans nuire à qui que ce fût …
Toujours au XVIème siècle, Montaigne
(1533–1592) a insisté sur la nécessité que
le "conducteur" de l'âme dont il a la
charge, devait présenter "… plutôt une
tête bien faite que bien pleine …", et lui faire
"… goûter les choses, les choisir et
discerner d'elle-même ; quelques fois lui ouvrant le chemin, quelques fois le
lui laissant ouvrir …".
Il ajoutait qu’il devait lui faire "…
tout passer par l'étamine …˝ et ne rien enseigner par
˝… simple autorité et à crédit …". Il concluait enfin par ce conseil au
jeune apprenti : " … Il choisira s'il
peut, sinon il en demeurera en doute. Il n'y a que les fols certains et
résolus˝.
Bien avant eux, Rabelais (1483-1553)
a posé les bases d’un apprentissage respectueux de l’être et de la présence de
la conscience dans l’acquisition du savoir.
Je dois préciser que les fondements pédagogiques de mon école de Yoga s’appuient
sur les attitudes prônées par Bayle, Montaigne, Rabelais, Descartes, et ben
d’autres encore, tous aussi respectueux de l’être et d’une connaissance fondée
sur des faits et une argumentation solide comme la souhaitait Shivananda.
Second fils d’un modeste pasteur protestant, il est instruit par celui-ci et
apprend le grec et le latin. Après avoir été à l'Académie protestante de
Puylaurens, en 1669, il entre au collège des Jésuites de Toulouse et se
convertit au catholicisme. L’année suivante, il se reconvertit, abjure, revient
au protestantisme et est considéré comme retombé dans l'hérésie, accusé
d'impiété et d'athéisme, exposé à de sévères sanctions. Pour échapper aux peines
encourues pour cause de
relaps, il doit s'exiler et se réfugie à Genève, où il
entreprend des études de théologie et de philosophie. Il découvre notamment la
pensée de Descartes. Il revient incognito en France sous le nom de ˝Bêle˝,
à Rouen puis à Paris
où il va travailler comme
précepteur.
Grâce au soutien de Pierre Jurieu, professeur de théologie, il est nommé
professeur de philosophie et d'histoire en Août 1675 à l’Académie de Sedan que
Louis XIV fait fermer en 1681. Bayle émigre et part enseigner la philosophie et
l’histoire à Rotterdam où vient de
s’ouvrir une école d’enseignement supérieur.
En Mars 1682, il
dénonce les superstitions et l'idolâtrie
dans ˝Pensées diverses sur la
comète˝, puis écrit la critique générale de l’Histoire du calvinisme.
En Mai 1684, il fonde et publie à Amsterdam, ˝Les
Nouvelles de la République des Lettres˝. Ce journal périodique de critique
littéraire obtient un rapide succès dans toute l'Europe.
La
révocation en 1685 par louis XIV, de l’Edit de Nantes qui permettait une
certaine liberté de culte depuis 1598 grâce à Henri IV, les divisions au sein
même de l’Eglise catholique, les querelles sur les pouvoirs respectifs du roi et
du pape, les conflits entre les protestants et le pouvoir, la reprise des
persécutions contre eux, la crise religieuse et la mort de son frère suite aux
persécutions religieuses, renforcent l’engagement de Pierre Bayle dans la
controverse religieuse.
Dans ses écrits, il attaque l'intolérance du roi. En 1686, il rédige et publie
un pamphlet dénonçant les persécutions.
En 1687, Bayle insiste auprès d’Antoine Furetière pour qu’il publie son
Dictionnaire universel contenant
˝… tous les mots françois tant vieux que modernes ˝.
L’ouvrage est publié en 1690 à Amsterdam, préfacé par Pierre Bayle qui édite, la
même année, un ˝Avis important aux réfugiés prônant la liberté de religion et
la tolérance˝. Cette parution déclenche la colère de ses détracteurs dont
Pierre Jurieu, qui font tout pour le faire destituer. Accusé d’impiété et
d’athéisme, ses positions l'obligent à abandonner son poste en 1693 mais ses
appuis lui permettent d’échapper aux coups de ses persécuteurs.
Sans argent, vivant pauvrement, il prépare son ˝Dictionnaire
historique et critique˝ que l’on peut considérer comme une œuvre majeure et
qui préfigure L'Encyclopédie
du XVIIIème siècle. Il montre qu’il est un philosophe de l’histoire, en usant
des faits historiques pour monter et organiser sa pensée et son argumentation.
Dans
cet ouvrage, il pointe les erreurs des dictionnaires antérieurs, et en même
temps, reprend les questions de morale, philosophie, théologie. Dans les ˝Pensées
diverses sur la comète˝, il se sert aussi d'exemples tirés de l'histoire. Le
Dictionnaire est édité en 1696 en 2 volumes, puis en 4 en 1701.
Les
dernières années de Bayle sont consacrées à une retraite studieuse et à des
écritures diverses, provenant des critiques faites sur son Dictionnaire.
En
Décembre 1706, Pierre Bayle meurt en exil à Rotterdam.
Bayle : sa pensée, son œuvre
Le bon sens prôné par Pierre Bayle critique et dénonce l'Autorité et la
Tradition sur lesquelles se fonde la manipulation des esprits dans les domaines
spirituel et religieux. On se doute des réactions belliqueuses des
traditionalistes bien-pensant utilisant le savoir à des fins d'exploitation de
la crédulité, de soumission d'autrui dans leur logique obscurantiste qui
justifie ces mots terribles de La Fontaine (1621-1695) :
˝… Je le répète, et dis, vaille que vaille,
Le monde est une franche moutonnaille …˝.
Avec Bayle et Fontenelle, cette opposition va être la plus marquée, d’autant
qu’ils remettent en cause aussi, les institutions politiques.
Par la critique de l’autorité et de la tradition, la légitimité du libre examen
critique, la primauté de l’expérience et de l’esprit scientifique, ils
apparaissent, tous deux, comme les précurseurs des grands philosophes du
XVIIIème siècle.
Voltaire se nourrira de l’œuvre de Bayle dont l’esprit critique est l’héritier
de celui de Montaigne et de Descartes : il examine, contrôle, confronte les
idées, vérifie, pèse les arguments, tandis que l’Encyclopédie s’inspirera de
l’esprit de sa méthode et aussi de son
Dictionnaire historique et critique.
Le XVIIIème siècle
Montesquieu
(1689-1755)
Voltaire
(1694-1778)
Buffon
(1707-1788)
Rousseau
(1712-1778)
Diderot
(1713-1784)
… |
Pascal |
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Ce devoir d’exemplarité dans le respect de l’autre et de ses opinions, ne
cherche à imposer aucune idée, aussi noble
Gandhi non-violent
soit-elle, sachant que Pierre Bayle
insiste sur la bonne foi dans l'accomplissement des actes et leur appréciation.
Question de culture
Notre culture, celle de la pensée libre et de la réflexion par soi-même, permet
de ne pas accorder à qui que ce soit une confiance aveugle.
Voici ce que dit Bayle dans son ˝Traité
de tolérance universelle˝ (1ère partie, chap. 1) :
˝… tout dogme qui n'est point homologué,
pour ainsi dire, vérifié et enregistré au parlement suprême de la raison … ne
peut qu'être d'une autorité chancelante et fragile˝
Aussi, en abordant l’étude, la pratique et l’approfondissement du Yoga, chacun
doit appliquer ce principe de Bayle et ainsi :
˝… donner un sens à ce qu’il lit ou à ce
qu'on lui dit, et sentir que ce sens est véritable ; et voilà sa vérité à lui
toute trouvée˝
Partant, au vu de sa condition, le chapitre 10, IIème partie de
˝Le Commentaire philosophique˝, dit
qu’il faut que l’homme :
"… cherche la vérité le plus soigneusement qu'il pourra et que, croyant l'avoir
trouvée, il l'aime et y règle sa vie˝.
Bonne réflexion et bon courage.