G (le Guide) - vous voulez vraiment entrer dans le Gange ?
M (Moi) - bien sûr puisque je vous demande si c'est possible.
Vous
ne le faites jamais ?
G - non, jamais. Ces croyances et ces mythologies sont faites pour les
petites gens!
M - alors admettons que je sois de ces petites gens...
G - ce n'est, pas ce que je
voulais dire ...
M - peu importe. Alors, c'est possible ou non ?
G - bien sûr! Mais vous êtes certain de vouloir le faire ?
M - oui, puisque je vous le dis!...
Mes compagnons s'étaient arrêtés un peu plus haut sur les ghats.
Je les rejoignis afin de céder appareil-photo, couverture, vêtements aux
bras tendus vers moi comme patères immobiles et silencieuses.
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Ainsi dépouillé, le corps presque nu, portant en médaillon Ganesha et
Shiva sur la poitrine, je me suis approché du fleuve sacré, parcouru par
un vague frisson, ai joint mes pieds sur la terre meuble et humide, à
quelques mètres seulement de femmes occupées à laver leur sari, de sages
saluant le soleil et de jeunes gens pratiquant leurs ablutions
rituelles.
J'ai joint mes mains face au levant et suis resté debout un temps qu'il m'est
impossible de quantifier. Je sentais l'équilibre de mon corps, la chaleur douce
du rayonnement solaire sur ma peau, la tranquillité de l'heure et du lieu, et la
paix dans mon esprit. J'ai ouvert les yeux, ai à nouveau contemplé l'astre de
jour et me suis avancé dans l'eau noueuse, mes pieds se posant sur la vase
fuyante et argileuse. Un bref instant me sont apparus tout ensemble les clichés
d'horreur, de pollution et de dégoût que l'on attache à ce fleuve pourtant
purificateur ; mais ils ne résistèrent pas au calme intérieur mêlé de joie
paisible qui m'animaient. J'ai avancé encore, puis plongé.
L'eau était vraiment boueuse. Et son goût inoubliable ... Comme sa couleur...
Je suis ressorti, ai essoré ma chevelure, refait face au soleil et ressenti ses
douces et pénétrantes vibrations, puis enfin, j'ai doucement remonté les ghats.
Tout en recouvrant ma peau encore humide et chargée de gouttes d'eau, je
compris, ou perçus que quelque chose venait de se passer. Au fond de moi, un
changement s'était opéré. En quoi ? Comment ? Je ne saurai le dire.
Mais je sais que ce matin-là, quelque chose d'irréversible s'est produit.
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